RISQUES TECHNOLOGIQUES

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RISQUES TECHNOLOGIQUES

C’est avec le développement du machinisme, à partir du XIXe siècle, que sont apparues les grandes catastrophes dues à l’homme. De l’exploitation des mines aux barrages, en passant par le nucléaire, le pétrole et la chimie, l’activité industrielle de l’homme n’est jamais sans danger. Il en est de même en matière de transport où l’augmentation de la fréquence et de la capacité des moyens entraîne des accidents importants.

D’autres types de risques apparaissent au fil des années. Ils ne sont peut-être pas aussi spectaculaires en nombre de victimes immédiates, mais ils influencent certains programmes de recherche et parfois l’avenir même de notre société. Par exemple, l’explosion de Challenger , le 28 janvier 1986, qui reste la plus grande catastrophe dans le domaine spatial, a remis en cause la politique de développement de la N.A.S.A.De même, les dangers dits écologiques sont de plus en plus présents et nécessitent une vigilance accrue. L’assèchement de la mer d’Aral (transformation de la région en désert et arrivée de tempêtes inconnues jusqu’alors), les modifications hydrologiques dues au barrage d’Assouan – qui ont entraîné une perte d’alluvions dans la plaine du Nil et un changement de la faune aquatique – et la déforestation en Amazonie ou en Afrique – qui entraîne des modifications importantes du climat et la désertification – en sont quelques exemples. Les naufrages de pétroliers, en particulier ceux de l’Amoco-Cadiz le 16 mars 1978 et de l’Exxon-Valdez le 24 mars 1989, qui polluèrent respectivement 250 kilomètres et 1 600 kilomètres de côtes, sont générateurs de risques graves pour la faune et la flore marines. Il faut également ajouter les dangers liés à toutes les manipulations biologiques. En jouant à l’apprenti sorcier, l’homme peut fabriquer des virus inconnus qui n’ont pas forcément leur antidote. Il n’est pas facile de quantifier ce type de danger car ses conséquences ne peuvent s’apprécier qu’à moyen et à long terme.

En faisant référence à un espace du danger dont les deux dimensions sont la gravité et la probabilité, les grandes catastrophes ont une faible fréquence mais une gravité importante. À l’opposé, les risques qualifiés de diffus ou de catastrophes «en miettes» ont une faible gravité et une grande fréquence. Ce sont les accidents domestiques, les accidents de la route, les accidents du travail et les accidents de sport. Là aussi l’influence de la technologie développée par l’homme n’est jamais innocente. Ainsi, la conception des habitations, leurs aménagements – mobiliers et équipements divers (électroménager, vidéo, informatique, Minitel, etc.) – et les produits utilisés – détergents, médicaments, etc. – sont responsables chaque année, en France, d’une vingtaine de milliers de morts et d’un nombre important de blessés. La route, malgré les progrès certains de l’automobile – sécurité active et passive –, du revêtement et de l’aménagement de la chaussée, ainsi que de l’adhérence des pneumatiques, reste meurtrière avec près de neuf mille décès chaque année en France. Les risques liés au travail (c’est-à-dire au sein de l’entreprise ou sur le trajet) sont aussi responsables de quelque quinze cents décès chaque année en France; un chiffre proche peut être donné pour les accidents de sport. Ainsi, dans les pays industrialisés, les catastrophes dites «en miettes» causent beaucoup plus de victimes que les accidents industriels.

Pour pouvoir mieux en parler, il faut des instruments de mesure permettant d’en quantifier les effets et des recueils d’accidents afin de mieux analyser les causes. C’est le but des échelles de gravité, des retours d’expérience et des banques de données.

La quantification du risque: échelles, retours d’expérience et banques de données

Un danger peut être représenté selon deux paramètres qui sont la gravité et la probabilité. C’est en agissant sur ces deux axes que l’on pourra diminuer le nombre et l’ampleur des catastrophes qui ne sont que réalisation du danger.

Toutes ces catastrophes étant enregistrées, il convient de les classer par ordre de conséquences immédiate ou futures. En effet, les fuites de dioxine dans l’usine de Seveso le 10 juillet 1976, les fuites d’isocyanate de méthyle de Bhopal en 1984 ou le nuage radioactif de Tchernobyl en 1986 ne sont pas neutres pour l’homme et son environnement. Un des problèmes auxquels sont confrontés les spécialistes est la quantification de ces accidents, cela afin de permettre une information objective et de participer ainsi à une meilleure compréhension du danger.

Toutefois, ces accidents dus à l’activité de l’homme sont moins bien cernés que les catastrophes d’origine naturelle, qui sont plus anciennes et moins diversifiée tant dans leurs causes que dans leurs effets. Il existe deux échelles de gravité pour les tremblements de terre l’échelle de Richter et l’échelle M.S.K. (de Medvedev, Sponheuer et Karnik). La première, la plus utilisée, ne fait référence qu’à l’intensité. Deux séismes identiques sur ce type d’échelle, ceux de San Francisco et d’Arménie par exemple, n’ont cependant pas les même conséquences. L’échelle M.S.K. s’intéresse aux conséquences et prend en compte les types de constructions, les proportions de bâtiments endommagés, les degrés des dommages. De même, en ce qui concerne les vents, on utilisera l’échelle de Beaufort qui, avec douze niveaux, de calme à ouragan, décrit les vents et les vagues.

En matière d’accident nucléaire, il existe également une échelle internationale des événements nucléaires possédant sept niveaux (de l’anomalie à l’accident majeur), elle s’intéresse aux causes et non aux conséquences. Tchernobyl entre en catégorie 7, la classe des accidents majeurs, tandis que Three Mile Island (États-Unis, 1979) est placé dans la catégorie 5.

Pour quantifier le risque industriel, une échelle recommandée par la Communauté européenne (car dérivée de la directive Seveso) et utilisée à titre expérimental par les États-Unis, a été élaborée. L’indice de gravité (I.G.) d’un accident dépend de trois paramètres variant de 1 à 6, qui sont le danger potentiel (D), les conséquences réelles (C) et les moyens d’intervention mis en œuvre (M). À titre d’exemple, Bhopal a été quantifié (6, 6, 6), ce qui indique une catastrophe très importante, et l’Exxon-Valdez (4, 6, 6).

Les conséquences des catastrophes étant identifiées, il convient de mieux les maîtriser par une meilleure connaissance de leurs origines et de leurs causes. Le «retour d’expérience» permet l’analyse a posteriori des accidents ou des incidents afin d’en déduire des actions pour qu’ils ne se reproduisent pas ou pour en limiter les conséquences. Mis au point par les spécialistes des mines, de l’aérospatiale et du nucléaire, le retour d’expérience est de plus en plus intégré à une bonne gestion de la sécurité et de la prévention, et on le retrouve maintenant dans l’industrie chimique comme dans les analyses des vols en aviation ou pour les accidents de la route – programme R.E.A.G.I.R. (Réagir par des enquêtes sur les accidents graves et les initiatives pour y remédier) en France.

Enfin, le retour d’expérience serait peu rentable s’il ne pouvait être consulté par des chercheurs. Dans ce but, des banques de données sur des accidents de types très divers se sont constituées. Tel est le cas en matière de risques technologiques en Europe: Facts (failure and accidents technical information system ) géré par le T.N.O. (Toegepast Natuurwetenschappelijk Onderzoek) néerlandais, Mhidas (major hazard incident data service ) géré par le Health and Safety Executive en Grande-Bretagne, M.A.R.S. (major accident reporting system ) géré par la Communauté européenne.

D’autres banques de données existent sur des sujets variés: les plates-formes pétrolières (Platform), les transports aériens (Rachel), les accidents du travail (E.P.I.C.E.A. [Études de prévention par l’informatisation des comptes rendus d’enquêtes d’accidents] de l’I.N.R.S. [Institut national de recherche et de sécurité] en France ou CIS-DOC [Centre international d’information, de sécurité et de santé au travail] du Bureau international du travail à Genève)... En fait, elles se multiplient grâce à l’utilisation intensive de l’informatique et à la multiplicité des recherches sur les accidents et leurs causes.

L’analyse des accidents permet de faire apparaître des déficits générateurs de dangers et donc d’accidents ou d’incidents. Par référence aux cindyniques, on les nomme déficits systémiques cindynogènes, ou D.S.C. Ce sont les déficits culturels (infaillibilité, simplisme, non-communication, nombrilisme), les déficits organisationnels (dilution des responsabilités, mauvaise subordination), les déficits de management (absence de formation, absence de planification de crise, absence de retour d’expérience). Chaque analyse d’accident montre la présence d’un ou de plusieurs déficits, et c’est en les comblant qu’on pourra mieux prévenir les dangers.

L’analyse des accidents ou des incidents par le retour d’expérience montre souvent l’influence prépondérante du facteur humain. Selon Jean-Louis Nicolet, Annick Carnino et Jean-Claude Wanner, il existe sept types d’erreurs: l’erreur de perception, l’erreur de décodage d’une information, l’erreur de représentation, l’erreur de communication homme-homme, le non-respect d’une procédure ou d’une réglementation, les décisions non prises en temps voulu et les actions mal séquencées ou mal dosées. L’étude de nombreux accidents, dans les domaines aérien, industriel et nucléaire, confirme cette approche et montre l’importance du facteur humain dans les risques technologiques.

Une autre voie explorée par les chercheurs est celle de la modélisation des risques. Utilisant le retour d’expérience, ils essaient de bâtir des concepts et des lois permettant de mieux prévoir et donc prévenir les dangers. Quelques lois ont déjà été définies:

– la loi de la réticularité cindynique (le danger qui menace un individu est fonction de son environnement);

– la loi de l’antidanger (la gravité d’un danger est accrue par la sous-estimation de sa probabilité);

– la loi d’invalidité cindynogène (l’excursion d’un système hors de son domaine de validité est créatrice de dangers);

– la loi de l’éthique cindynique (la qualité des relations dans un réseau est un facteur de réduction du danger);

– la loi de l’accoutumance au danger (avec le temps, la conscience des dangers de faible probabilité diminue).

D’autres outils de prévention existent. Ainsi les «arbres d’événements» ou les «arbres de défaillance» qui, à partir des retours d’expérience, peuvent déployer leur arborescence. Les méthodes utilisant les probabilités (comme les réseaux de Pétri), les chaînes de Markov ou le sneak analysis complètent le dispositif de prévention des accidents. Elles permettent de mieux cerner le danger et donc de mieux le prévenir.

La prévention du risque: recherche et enseignement

Pour pouvoir alimenter, gérer et étudier les retours d’expérience, de grands laboratoires se sont créés dans le monde.

En France, on peut citer l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques), plus particulièrement tourné vers les problèmes des risques industriels et de leurs conséquences sur l’homme et l’environnement; l’lnrets (Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité), qui traite de tous les types de transports, qu’ils soient d’ordre terrestre, maritime ou ferroviaire; l’I.N.R.S., qui s’occupe de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles; l’I.P.S.N. (Institut de protection et de sûreté nucléaire), compétent pour tous les problèmes relevant de l’atome ainsi que pour certains risques chimiques; le C.N.P.P. (Centre national de prévention et de protection), qui effectue des recherches en matière d’incendie et d’explosions; le C.N.R.S. (Centre national de la recherche scientifique) ou l’I.N.S.E.R.M. (Institut national de la santé et de la recherche médicale), au travers de certaines de leurs équipes de recherche; le B.R.G.M. (Bureau des recherches géologiques et minières); le Centre international de toxicologie.

Ces organismes sont reliés et relayés par d’autres centres de recherche dans le monde, comme le T.N.O. aux Pays-Bas, le Bam (Bundesanstalt für Materialforschung und Prüfung) en Allemagne, le Joint Research Center d’Ispra en Italie – qui traite pour la C.E. des problèmes d’environnement, de chimie, de climatologie, de nucléaire, d’informatique, d’aéronautique et d’astronautique –, le Health and Safety Executive en Grande-Bretagne, la fondation Mapfre (Mutua patronal de accidentes de trabajo) en Espagne, le Laboratoire d’Oak Ridge, aux États-Unis, pour les problèmes nucléaires et chimiques, le Sandia Laboratory d’Albuquerque, aux États-Unis, pour les problèmes de transport.

Un certain nombre de grandes écoles et d’universités consacrent des enseignements aux risques technologiques, et des mémoires ou des thèses sont édités chaque année sur le thème d’une plus grande maîtrise du danger. Mais c’est dès l’école primaire que les enfant devraient être informés des risques encourus dans le vie quotidienne.

La gestion de l’accident

Lorsque l’accident se produit, l’homme doit mettre en œuvre un certain nombre de moyens lui permettant d’en réduire les conséquences.

C’est le domaine de la protection. En général, ces moyens sont énumérés dans des plans de secours où les différents acteurs – policiers, pompiers, secouristes, médecins, administratifs... – sont positionnés à l’avance afin d’accroître leur efficacité et d’éviter certaines redondances ou lacunes.

Que ce soit une fuite de gaz, une chute d’avion ou une explosion d’usine, chaque accident déclenche, dans les pays occidentaux, des réseaux de solidarité qui permettent aux secours une grande efficacité, dans une société où le tissu social est endommagé.

En effet, une catastrophe possède, en général, un caractère inhabituel, collectif et soudain qui balaie toute organisation préétablie. Par exemple, les hôpitaux sont inutilisables parce qu’ils sont trop éloignés du lieu de l’accident ou parce qu’ils sont saturés par le nombre des victimes. Aussi, depuis quelques années, une forme de médecine directement liée aux accidents s’est développée: la médecine de catastrophe. Proche des principes de la médecine militaire, elle permet aux équipes de secours de traiter les victimes soit sur place, soit en les évacuant, avec un souci constant d’adapter les moyens au type d’accident. Un peu partout dans le monde, dans les facultés de médecine, sont enseignés les préceptes de cette gestion de la catastrophe, chaque type d’accident entraînant des lésions différentes: entre une intoxication d’origine chimique, un accident de chemin de fer et une rupture de barrage, les conséquences sur les êtres humains seront complètement différentes, nécessitant des moyens d’intervention appropriés.

De l’apparition d’une nouvelle science aux grandes controverses scientifiques

En 1987, à Paris, plus de mille cinq cents spécialistes du risque, venus du monde entier et réunis à l’U.N.E.S.C.O., constatent que leurs démarches sont identiques. Une discipline au carrefour des sciences exactes et des sciences humaines voit alors le jour: les cindyniques, ou sciences du danger.

Après ce colloque international, une association est créée: l’Institut européen de cindyniques, qui a pour vocation de faire avancer les travaux, les recherches et les enseignements sur le danger et de fonder une structure d’échange et de dialogue afin que des spécialistes de disciplines différentes puissent se rencontrer et collaborer.

À la fin du XXe siècle, de nombreux problèmes liés à la technologie restent en suspens. Ainsi, entre le réchauffement de la Terre, dû semble-t-il aux gaz d’échappement, la diminution de la couche d’ozone, liée en partie à l’utilisation trop importante de certains gaz comme les CFC (chlorofluorocarbure), la gestion de déchets ménagers ou nucléaires, l’être humain est confronté à de nombreux dangers. En fait, il doit estimer le juste équilibre entre l’apport d’une certaine technologie et ses inconvénients potentiels.

Le danger technologique existera toujours. Sa meilleure connaissance et sa reconnaissance permettront d’en diminuer les conséquences par la prévention – avant l’accident – et la protection – après l’accident. L’important, pour le devenir de l’homme, est d’avoir conscience des risques et de tout mettre en œuvre pour que chaque création d’un nouveau danger soit synonyme d’une mise au point de techniques permettant une meilleure maîtrise.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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